Les productions caricaturales et les fantômes d'Eusapia Palladino

Les productions caricaturales et les fantômes d'Eusapia Paladino

Les phénomènes ectoplasmiques paladiniens furent plus variés que ceux présentés par Home, mais ils furent souvent
de moindre qualité, en ce sens qu'Eusapia opérait généralement dans l'obscurité, alors que les expériences de Home avaient lieu la plupart du temps en pleine lumière. De plus, Eusapia frauda parfois, grossièrement d'ailleurs, alors qu'à notre connaissance Home n'a jamais trompé.

Eusapia produisait presque toujours des formes humaines incomplètes, des mains à contours indécis, des têtes
rarement visibles, mais dont on sentait la forme à travers un rideau, des formations indéfinissables, sortes de caricatures d'êtres vivants, qui gesticulaient d'une façon bizarre, et, enfin, mais exceptionnellement, des êtres entiers ayant l'apparence humaine. Notons toutefois, dès maintenant, que la médiumnité ectoplasmique d'Eusapia s'éleva parfois à des sommets rarement atteints par les autres sujets métapsychiques. Le fait se produisait lorsque le médium
se sentait au milieu d'un groupe sympathique et s'abandonnait complètement à la transe.

Il serait fastidieux de rapporter ici, car ils se ressemblent souvent, un grand nombre de comptes rendus d'expériences
réalisées avec Eusapia, qui fut étudiée par d'innombrables savants et métapsychistes. Nous nous bornerons, afin de ne pas fatiguer l'attention du lecteur, à relater quelques expériences typiques présentant un réel intérêt.

Voici d'abord celles qui eurent lieu à l'Institut Général Psychologique dans d'excellentes conditions de contrôle,
avec les expérimentateurs déjà cités dans notre ouvrage Les pouvoirs secrets de l'homme (Editions J'ai Lu A.273**) :
MM. Courtier, d'Arsonval, M. et Mme Curie, etc.

1905, 6ème séance. — On voit une main apparaître au-dessus de la tête d'Eusapia, à l'écartement du rideau.
M, Courtier. — « Les doigts se sont avancés, puis se sont relevés et j'ai vu une paume. »
M. d'Arsonval. — « J'ai vu une main fermée qui s'est ouverte. »
1905, 11ème séance. — M. Youriévitch voit une main abaisser quatre doigts sur la tête d'Eusapia. M. de Grammont
l'a vue aussi. Mme de Grammont a vu comme une main blanche se poser sur la tête d'Eusapia. M. Youriévitch sent une main qui le prend par la tête. M. de Grammont a vu la main sortir du rideau et se poser sur la tête de M. Youriévitch. (Contrôleurs : à gauche, M. Pierre Curie; à droite, M. Youriévitch.)
1905, 6ème séance. — Eusapia dit qu'elle veut faire deux mains en même temps, une qui frappe et l'autre
qu'on voit.

Mme Curie, MM. Courtier et Debierne voient une forme de main, pas très nette, mais lumineuse. M. Youriévitch
est touché à deux reprises. M. Perrin. — « Je ne peux pas dire que c'était une
main. » M. Debierne. — « Une main véritable, non, mais plutôt une ébauche de main. » (Contrôleurs : à gauche,
M. Youriévitch; à droite, M. Debierne.) D'autres fois, on aperçoit comme des membres noirs,
comme des silhouettes d'ombres chinoises.
1905, 10 ème séance. — Les expérimentateurs voient comme un bras noir tout près du coude de M. Komyakoff.
MM. Curie et Youriévitch l'ont vu nettement. Ils le voient de nouveau avançant plusieurs fois et touchant fortement M. Komyakoff à l'épaule.
1906, 8ème séance. — A cette séance, Eusapia, liée sur une chaise longue, était seule à l'intérieur de la
cabine. La chaîne était formée en dehors de la cabine, autour de la table. Les assistants virent apparaître pendant
un instant, à la fente du rideau, comme une tête obscure et un buste d'homme, recouverts de linges blancs.
Ce compte rendu, de l’Institut Général Psychologique, exprime assez bien ce que l'on observait habituellement
avec Eusapia, en ce qui concerne les phénomènes ectoplasmiques : apparitions rapides, fugaces, surtout de mains
ou de membres, mais, comme nous l'avons dit plus haut, la médiumnité téléplasmique d'Eusapia ne se borna pas
à ces productions éphémères et partielles. Ainsi, au cours d'une séance mémorable tenue à Gênes le 1er mai 1902, des phénomènes particulièrement complexes furent observés. Ils constituent certainement les faits les plus extraordinaires que l'on ait obtenus avec Eusapia, et, peut-être même, les phénomènes les plus étonnants de toute la métapsychique physique.

Trois comptes rendus de cette importante séance furent donnés, l'un par le Dr Venzano, un autre par l'écrivain
spirite Bozzano et un troisième par le Pr Morselli qui fut longtemps le chef incontesté du positivisme italien.
Nous avons puisé à ces trois sources. Les expérimentateurs étaient le Pr Morselli, le Dr J. Venzano,
Ernest Bozzano, M. et Mme Louis Montaldo, M. et Mme Avellino et leurs deux fils.

Le lieu de la séance fut la salle à manger de l'appartement de la famille Avellino et le cabinet médiumnique
l'encoignure de l'unique fenêtre de la pièce. Eusapia se déshabilla complètement et ses vêtements furent soigneusement examinés. Le médium fut ensuite solidement attaché à un petit lit de fer et l'expérience se développa à la lumière d'un bec Auer. Elle commença à 22 h 30. On jugea convenable de diminuer momentanément la lumière excessive provenant de la flamme à gaz. Néanmoins, la visibilité resta très satisfaisante ainsi que le remarqua le Pr Morselli :

« Je fais ce qu'on peut appeler une expérience élémentaire de photométrie : je constate qu'à ce degré de lumière,
je parviens à lire les caractères les plus petits d'un journal (corps 6), à voir l'heure que marque ma montre, à discerner nettement les clairs-obscurs des gravures et photographies pendues aux parois de la salle à manger. »
Après un quart d'heure d'attente, les phénomènes commencèrent à se manifester : « La table, qui était à 1 m de nous et à 20 cm du cabinet, note le Dr Venzano, entra toute seule en mouvement. D'abord, elle se souleva sur deux pieds, en frappant plusieurs fois. »

« Puis, tout à coup, écrit le Pr Morselli — c'était 20 h 50 —, les rideaux noirs se sont écartés l'un de l'autre
au milieu, et, à une hauteur de 1,60 m environ du matelas, à 2 m du sol, s'est présentée, juste en face de moi, une
première « apparition ». C'était une jeune femme dont ont apercevait la tête, les épaules et la partie supérieure du
tronc. Elle était d'une couleur blanchâtre; j'eus l'impression qu'elle ne recevait pas uniquement les rayons lumineux
du gaz mais qu'elle possédait peut-être elle-même une certaine luminosité que l'on pourrait comparer à un rayon
de lune très pâle. Mais elle semblait comme déteinte; ses contours étaient un peu flous, aux lignes mal définies;
on aurait dit qu'elle se présentait à travers du brouillard; la partie inférieure du corps se perdait en une sorte de
nuage. Un turban de voiles entourait le front et les cheveux, à peine visibles sur les oreilles; une autre bande de
voiles entourait le cou et couvrait aussi le menton, un peu à l'instar des femmes turques. Du visage, restaient
découverts : l'arcade sourcilière, le nez, les joues... Le corps était aussi entouré d'une étoffe dont la trame paraissait
fort mince... La tête semblait plus grande qu'au naturel, mais ses proportions dépendaient probablement de l'épaisseur des voiles... L'apparition est restée immobile environ 15 ou 20 secondes, mais, ayant dit que je ne pouvais pas bien la discerner à cause des bandes et des cheveux qui me paraissaient la cacher un peu, elle a porté ses deux mains à la hauteur des oreilles, et, d'un geste gracieux, elle s'est découvert un peu la figure; elle a ensuite incliné légèrement la tête en saluant aimablement; enfin, en se dissolvant assez rapidement, elle a disparu... »

Une deuxième apparition, radicalement différente, lui succéda presque immédiatement. « On discutait encore sur la figure apparue, continue le Pr Morselli, et la table, reprenant ses danses solitaires, prenait part, avec son langage muet, à notre conversation, lorsque, à 23 heures, une deuxième apparition se montra, toujours dans l'encoignure du cabinet...

Cette fois, ce fut la figure d'un homme; les parties visibles étaient les mêmes que chez la matérialisation précédente... J'en apercevais bien la morphologie. C'était un vrai géant, d'une taille vigoureuse, la tête était très volumineuse, la figure large, avec de forts zigomas, le nez gros et court, camus; la barbe paraissait dense, courte, bouclée; les épaules carrées et robustes; le cou musculeux, la poitrine large... Il nous a semblé qu'il nous saluait avec des mouvements expressifs de la tête; ensuite, il s'est évanoui rapidement; d'abord les traits du visage sont devenus incertains, puis les
contours se sont dissous jusqu'à être remplacés par le fond noir de la fenêtre... Je me suis levé aussitôt et je
me suis précipité pour vérifier l'état du médium. Celui-ci était toujours étendu, dans une condition semi-léthargique;
il haletait et transpirait, mais il était toujours solidement ligoté. »

Après une courte interruption, la séance continue; une troisième et une quatrième apparition se montrent; elles
sont féminines et analogues à la première, hormis ces détails que le visage de la troisième apparition avait un
teint plus naturel que celui de la première (ainsi que le remarque le Pr Morselli qui put l'examiner de près) et
que la poitrine et la tête de la quatrième apparition étaient entourées d'un nombre invraisemblable de bandes de tissu
qui la faisaient ressembler à une momie. L'un et l'autre fantôme, en se penchant en dehors des rideaux, projetaient
une ombre sur la muraille illuminée et cette ombre les suivait dans leurs mouvements. Les liens des mains et des pieds, trop serrés, faisant souffrir Eusapia sont enlevés, mais le médium reste toujours attaché aux barres du lit par les liens du tronc.

Dans ces conditions, une dernière forme féminine apparaît accompagnée d'un enfant. Cette double apparition
constitue certainement l'épisode le plus merveilleux de la médiumnité d'Eusapia. « Nous avions à peine repris nos places, écrit le Dr Venzano, que les rideaux s'ouvrirent à une certaine hauteur du sol et que nous vîmes paraître, à travers un espace large, ovale, une femme qui tenait en ses bras un petit enfant presque en faisant mine de le bercer.

Cette femme, qui paraissait âgée de quarante ans environ, était coiffée d'un bonnet blanc, garni de broderies de la même couleur; la coiffure, tout en cachant les cheveux, laissait apercevoir les traits d'un visage large, au front élevé. La partie restante du corps qui n'était pas cachée par les rideaux était couverte de draps blancs. Quant à l'enfant, il pouvait,
d'après le développement de la tête et du corps, être âgé de trois ans. La petite tête était découverte, avec des cheveux
très courts; elle se trouvait à un niveau quelque peu supérieur à celui de la tête de la femme. Le corps de l'enfant paraissait enveloppé de langes composés, eux aussi, d'un tissu léger et très blanc. Le regard de la femme était tourné en haut avec une attitude d'amour pour l'enfant qui tenait la tête un peu courbée vers elle.

« L'apparition dura plus d'une minute. Nous nous levâmes tous debout, en nous approchant, ce qui nous permit
d'en suivre les moindres mouvements. Avant que le rideau se rabattît, la tête de la femme se porta quelque peu en
avant, pendant que celle du bébé, en s'inclinant à différentes reprises de droite à gauche, posa sur le visage de
la femme plusieurs baisers dont le timbre enfantin parvint à nos oreilles d'une manière très nette.
« Pendant ce temps, les plaintes d'Eusapia continuaient et augmentaient toujours; ce qui fait que nous nous décidâmes à pénétrer dans le cabinet. Eusapia occupait la position dans laquelle elle avait été laissée et elle paraissait
lasse et souffrante. « Pour ce qui se rapporte à la réalité de ces manifestations, ajoute le Dr Venzano, il serait inutile de se dépenser en paroles superflues. Il s'agit de phénomènes qui se sont produits à la lumière, dans un lieu choisi et entouré par nous des plus rigoureuses précautions qui regardaient non pas seulement l'endroit où l'on expérimentait, mais aussi le médium et ses vêtements. » Enfin, et c'est ici que l'apparition de la femme et de l'enfant revêt une allure spiritoïde, la famille Avellino et particulièrement Mme Avellino crurent reconnaître en ces figures fantomatiques, grâce à certains détails vestimentaires, en particulier la coiffe ornée de dentelles, la mère et l'un des enfants de Mme Avellino, ce dernier étant décédé à l'âge de trois ans à peine.

Le caractère spirite de certaines manifestations ectoplasmiques paladiniennes fut apparemment si net qu'il conduisit des positivistes aussi résolus que les Prs Lombroso et Porro, des sceptiques railleurs comme le publiciste Vassallo, directeur du journal il Secolo XIX, qui, avant sa conversion au spiritisme, avait écrit : « Quand trois spirites sont assis autour d'un guéridon, il n'y a que le guéridon qui ait de l'esprit ! » et des hommes froids et méthodiques, tels que le Dr Venzano, à admettre la survie, parce que tous ont cru revoir l'un des leurs que la mort avait arraché à leur affection. Mais, remarquons immédiatement que ces phénomènes étant vraisemblablement conditionnés par le psychisme du
médium, et probablement aussi par celui des assistants, les formes ectoplasmiques peuvent, par idéoplastie, prendre
l'apparence de défunts. L'hypothèse n'est pas déraisonnable étant donné que, jadis, les apparitions affectaient, en rapport avec les croyances du moment, la forme d'Apollon, de Dioscures, de Démons, etc., et, plus tard, d'Anges, de Diables et de Saints. La plupart étaient sans doute subjectives mais quelques-unes étaient peut-être « matérielles ».

Nous-même avons vu en d'excellentes conditions de contrôle, le médium étant absolument inerte près de nous,
une formation ectoplasmique se présenter sous l'aspect d'un nuage grisâtre transparent ayant vaguement une forme
humaine. Or, à l'époque où nous avons observé ce phénomène, c'est bien ainsi que nous nous représentions l'ectoplasme. Dans la séance du 18 décembre 1901, au Circolo Minerva, M. Vassallo se sent saisi en arrière par deux bras qui l'enlacent affectueusement, tandis que deux mains aux longs doigts effilés, d'une personne jeune, lui serrent la tête et le caressent. Pendant ce temps, des lèvres l'embrassent à plusieurs reprises et tout le monde entend le brait des
baisers. M. Vassallo demande le nom de l'entité qui manifeste à son égard des sentiments aussi tendres, et, par des
mouvements de la table, on obtient le nom de Romano; c'était un des prénoms de son fils décédé, ignoré même
de ses parents les plus proches, car on l'appelait toujours Naldino.

M. Vassallo ayant sollicité une preuve plus complète, la table répond affirmativement en demandant moins de
lumière. On obéit en plaçant une bougie allumée sur le parquet d'une autre salle. De cette façon, la lumière est
faible, mais suffisante pour distinguer le visage d'Eusapia et celui des observateurs.

Tout à coup, le Dr Venzano, qui assistait à la séance, voit s'élever près d'Eusapia une masse vaporeuse de forme
oblongue qui se condense graduellement en haut, puis prend l'aspect d'une tête humaine sur laquelle apparaissent
successivement une chevelure abondante, des yeux, un nez et une bouche. A ce moment, deux assistants s'écrient en
même temps : « Une silhouette, une silhouette ! » M. Vassallo, qui regardait ailleurs, se retourne assez à temps pour
voir une tête qui s'avance à plusieurs reprises au-dessus de la table dans sa direction, puis se dissout.
On suspend la séance et le Dr Venzano trace au crayon, sur une feuille de papier, un croquis représentant la forme
aperçue, et, en même temps, de son côté, M. Vassallo, très habile dessinateur, reproduit avec beaucoup de soin la
tête, vue de profil, de son fils disparu. On constate alors, avec une très vive surprise, la grande ressemblance entre
les croquis dessinés par MM. Venzano et Vassallo et le portrait de Naldino que M. Vassallo avait toujours sur lui.
En effet, les lignes de contour de la tête et l'aspect pyriforme de cette dernière, rendue telle par la très abondante
chevelure répandue sur un visage plutôt maigre d'adolescent, se correspondent merveilleusement.

Dans une autre séance, qui se passe également dans les locaux du Circolo Minerva, c'est le Dr Venzano qui est
favorisé par une apparition. Les conditions de contrôle sont rigoureuses et la chambre est éclairée par la lumière
d'une bougie placée sur le parquet d'une pièce contiguë. Soudain, le Dr Venzano, qui tient la main gauche du
médium dont la tête repose à droite sur l'épaule du Pr Porro, voit se former à sa propre droite, à une distance
de 20 cm de son visage, comme une masse vaporeuse, globulaire, blanchâtre, qui se condense en une forme plus
nette, un ovale, qui, peu à peu, prend l'aspect mieux défini d'une tête humaine dans laquelle il reconnaît distinctement
le nez, les yeux, les moustaches, la barbe en pointe d'un parent décédé. Cette forme s'approche de sa figure et il
sent un front vivant et chaud s'appuyer sur le sien et y rester quelques secondes. Ensuite, il perçoit le contact
de tout le profil avec le sien, avec une pression de caresse, puis l'impression d'un baiser, après quoi la masse paraît
se dissoudre, se vaporiser vers les rideaux du cabinet médiumnique. Les assistants, plus éloignés de l'apparition
que l'était le Dr Venzano, ne perçoivent, pendant le phénomène, qu'une vague nébulosité, mais entendent tous
nettement le bruit produit par le baiser. « Je dois déclarer, pour rendre hommage à la vérité, dit le Dr Venzano, que les témoignages visuels et tactiles me permirent d'observer avec une grande précision les caractères physionomiques de la figure apparue et d'en reconnaître l'extraordinaire ressemblance avec celle d'un très proche parent que j'eus le malheur de perdre il y a plusieurs années. Et je dois déclarer encore que, pour l'état d'esprit dans lequel je me trouvais, cette particularité d'identité physionomique n'était ni attendue ni pensée par
moi.

 Quand le phénomène commença, je songeais à l'apparition probable d'une forme matérialisée bien différente
de celle qui se produisit réellement. »

 

 

Source littéraire : Les mystères du surnaturel par Robert Tocquet. Ed. J'ai Lu collection l'aventure mystérieuse 1972. 310 pages